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Jean MouttapaEditeur, Albin Michel

Pascal, déjà - avec ô combien de justesse - avait décrit les fracas et les cris que provoque en notre âme le combat incessant de l’esprit de finesse et de l’esprit de géométrie. Depuis lors, la raison a souvent eu raison du « cœur », en la réduisant à un mièvre sentimentalisme. Refusant ce voyage de Charybde en Scylla, toute l’œuvre philosophique et poétique de Daniel Pons nous reconduit à la conflagration originelle entre finesse et géométrie, à cette rencontre primordiale et volcanique entre raison et cœur d’où peut naître la folie, et d’où jaillit parfois la création. La réponse, dans son œuvre littéraire, est toujours dépassement de la parole : poème ou silence, danse, chant et rire, pour en finir avec la pesanteur des mots.

L’œuvre photopoétique de Daniel Pons, placée sous le signe de la finesse et de la géométrie, est le prolongement naturel de ce chemin de poète visionnaire. La rectitude ou la courbure parfaites de quelques herbes reflétées à la surface d’un lac, répondent à notre irrépressible désir de simplicité rythmique. Mais dans le même instant, une discrète asymétrie, une ride sur l’eau, la présence d’un invisible souffle nous restituent la vie en sa fragilité, en son arythmie créatrice, en son équilibre toujours instable, toujours proche de la danse… et l’on songe encore à Pascal dont le « roseau pensant » n’est peut-être pleinement humain que lorsqu’il devient roseau dansant !

Oui, les images du poète, qu’elles nous présentent les mille visages de la nature en sa féminine nudité, ou la nudité d’une femme en sa naturelle pureté, nous enseignent toujours une seule chose : le vrai regard est connaissance. Savoir importe peu, avait déjà dit Daniel Pons dans le « Fou et le Créateur », ce qui nourrit est connaissance ; et connaître, c’est avoir l’ « humilité de la perméabilité », c’est hisser notre regard jusqu’à la dimension du « mieux-voir ». Une dimension où l’homme ne saisit pas le monde pour le réduire à sa propriété, pour le placer sous tutelle, pour lui imposer un arbitraire statut d’objet, esclave du sujet. Une dimension, au contraire, où l’œil caresse la terre, où le regard est noce, où la relation « sujet-sujet » transforme le lien de l’homme au monde en dialogue d’amour.

Les photos-poèmes de Daniel Pons nous introduisent dans ce royaume où les « choses » n’existent pas, où seuls vivent les êtres, tous différents, tous prêts à s’animer pour peu que nous sachions voir, tous prêts à devenir des interlocuteurs. Ce faisant, le poète-philosophe devient photographe-philosophe : il nous prend par la main pour nous donner à voir, avec chacune de ses œuvres, les mille trésors qui peuvent éclore par la sagesse de l’Amour.

Jean Mouttapa