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Jean DieuzaidePhotographe

PHOTOGRAPHIE ET POÉSIE

La photographie, et c'est heureux, n'a pas seulement pour mission de nous faire réfléchir, sur la guerre et l'injuste cortège d'atrocités qu'elle draine ou, sur les erreurs, les abus, ou l'égoïsme forcené des hommes, mais aussi d'attirer notre regard vers des horizons où les réalités sont plus sereines, tout aussi concrètes, et où l'air est plus frais.

Cette bulle d'oxygène, Daniel Pons nous la propose : il l'appelle "photopoétique". Ce vocable dont il revendique la paternité, n'est pas dénué de sens, bien au contraire : il est évident, lorsqu'on se laisse pénétrer par la chaleur et le charme des couleurs à l'heure où le soleil se couche, à l'instant où la magie d'un reflet vous interpelle, ou encore, pourquoi pas, lorsqu'une fleur précédée de son parfum complice, vous fait un clin d'œil... Autant de choses qui aident à vivre avec une autre dimension, peu comparable à la guerre... Dimension qui existe aussi ! Il ne faut pas l'oublier.

Un certain jour des années 70, Daniel Pons éprouve le besoin de s'exprimer. Il se met à écrire, avec persévérance et photographie en même temps, en extase... Son propos : traduire en images ses émotions et l'instantanéité de sa perception. Le dialogue s'instaure. "L'image, elle aussi, sait dire et matérialiser les visions du poète" précise-t-il... et notre auteur joue de la couleur, de l'eau, de la lumière comme d'autres se servent d'une palette, d'un ciseau ou d'un burin. Il réinvente presque la photographie que l'on n'ose plus faire : reflets, d'une silhouette de femme toute en vibration de couleur au pastel, d'une ombre de main tendue irisée par le soleil, de joncs dressant au trait leurs chatoiements géométriques et puissants sur le miroir d'une mare moirée, par la risée... tel un souffle s'exprimant en silences et caresses sur un fond de musique intérieure.

Daniel Pons vit dans cet espace sans limite où l'œil de la caméra nous interpelle pour nous démontrer qu'il est possible de capter avec l'objectif et la plaque sensible, un monde tout aussi imaginaire que réel : "Etablir, dit-il, une relation de qualité entre la lumière et le sujet dans le seul but de faire jaillir l'essence".

Faire jaillir l'essence, tout est là. Or, dans ce monde matériel, dont on sent, fort heureusement, "la vapeur se renverser", on a coutume d'évacuer le poète au-delà du réel pour le cantonner dans les sphères de l'imaginaire comme si ces deux dimensions n'étaient pas susceptibles de cohabiter ou de communiquer chez l'homme !

Comment un poète pourrait-il créer s'il ne pouvait appréhender le réel, éternelle rencontre avec un rationnel qui ne peut l'écarter de l'irrationnel ? La photographie, comme objet de vision, matérialise nos sensations internes et l'ombre des êtres et des choses n'est plus seulement le prolongement du réel, mais de nous : identité autonome mise en relation par la révélation de la photographie à une réalité toujours en évolution, la nôtre. Subtile dialectique du réel et de l'imaginaire qui détermine un style d'image, dont la nudité parfois et la précision évoquent dans l'œuvre de Pons l'art de la gravure ou du dessin. Ses photographies ne sont pas pour autant entachées de formalisme, et les voies infiniment diverses et complexes qui conduisent à leur réalisation procèdent toujours d'une exigence d'ordre spirituel : c'est leur secret.

Comme pour toute discipline artistique, nos photographies sont souvent l'aboutissement d'une idée qui naît dans notre esprit, au hasard d'une impression, d'une rencontre, d'une lecture même, qui se forme et mûrit parfois très vite ou, au contraire, très lentement, avant de trouver, dimension plastique... et résonance philosophique.

Chez Daniel Pons, il y a sûrement beaucoup à dire de ces espaces apparemment inhabités, de ces graphismes en attente, de ces choses sur lesquelles, semble-t-il, aucun regard ne s'est jamais posé auparavant. En bref, tout un univers dont la pureté, et j'aime et j'ose dire la beauté, aurait quelque chose de spectral s'il n'était caractérisé également, par une intense réalité : celle que l'auteur confronté à lui-même, souhaite nous faire percevoir.

"L'oxygène" de la photographie est là aussi. Trop de gens épris de grandeur, voudraient nous le faire oublier... et même nous l'interdire !... N'est pas encore né celui qui voudrait nous en priver.

Jean Dieuzaide